La facturation forfaitaire n’a rien d’un forfait, bien au contraire ?

Il y a quelques temps nous nous étions interrogés sur Comment distinguer une offre entre « plus cher » et « trop cher » ? Et nous en étions arrivés à la conclusion que le bon acheteur ne devait pas foncer tête baissée vers les prix les plus bas, mais d’avantage chercher la valeur ajoutée derrière le prix élevé. C’est une interrogation similaire qu’il nous faut mener pour arbitrer entre la facturation au forfait et la facturation au tarif horaire.

 

La quête du juste prix dans le détail

Toutes les boutiques ont l’obligation d’afficher le prix des marchandises qu’elles vendent au poids ou au détail. De la même manière, une entreprise de services a quasiment l’obligation d’afficher son taux horaire. C’est une façon certaine de rassurer les nouveaux clients en leur donnant la possibilité de comparer avec le prix du marché. Ainsi la transparence est totale. De la même manière que l’on connait le prix de la baguette, ou du mètre carré immobilier, on peut savoir le taux horaire du chauffeur de taxi pour un zonage donné, par exemple. Les entreprises qui facturent ainsi leurs services donnent de nombreux gages au client qui a l’impression d’avoir une maîtrise totale de la prestation… S’il voit le compteur du taxi monter au-dessus de la somme qu’il avait provisionnée, il peut demander au chauffeur de le déposer pour qu’il finisse la course à pied. Une formule idéale donc qui permet le « stop and go ». Cette solution tarifaire propose des qualités tout à fait séduisantes que l’on résumera en trois points : la transparence, la comparaison et la souplesse. Le client parfaitement rassuré sait où il met les pieds, mais il court toutefois un risque qui est le dépassement de budget : il ne sait pas à priori s’il dispose de suffisamment d’argent pour parachever sa mission ou non, ou si celle-ci risque de revenir plus cher que les moyens qu’il avait escomptés. Si l’estimation d’un budget basé sur un taux horaire peut paraître une bonne affaire avant l’accomplissement de la mission, le client ne se trouve jamais à l’abri d’une surprise tarifaire et ne dispose d’aucun moyen de se prémunir contre un dépassement. La souplesse se paye au prix de l’incertitude d’un taux final inconnu. En contrepartie, l’offre forfaitaire est ainsi moins souple mais elle rassure par la définition en avance d’une tâche pour un montant fixe.

 

Prendre le risque du forfait peut rapporter gros au client … et au prestataire

Que ce soit pour le prestataire ou pour son client le choix de la tarification forfaitaire est une prise de risque en ce sens que c’est un fusil à un coup. Des deux côtés, il faut être sûr de soi : que le forfait englobe l’ensemble de la prestation et que rien n’a été laissé de côté. C’est là que l’expérience et les compétences entrent en jeu pour garantir un montant à la prestation demandée.

Pour une entreprise il est très difficile de calculer un prix au forfait, car le chargé de clientèle qui doit s’en occuper ne doit absolument rien oublier et cela peut prendre plus de temps que d’appliquer un taux horaire. Pour une société d’ingénierie, le risque est d’autant plus élevé que de l’étude de faisabilité à l’industrialisation il y a une quantité d’étapes et de prestataires. Ce calcul doit tout intégrer : la gestion du risque, de la qualité et des délais. Pour le client aussi, le forfait peut se révéler être une bonne affaire car il se voit offrir un service clé en mains. Certes, il doit parier sur le fait qu’il en aura bien pour son argent en intégrant une part d’inconnu, mais il peut toujours se renseigner sur la notoriété de l’entreprise avec qui il fait affaire, plutôt que comme dans la parabole rapportée ci-dessous du vieil homme et du marteau, découvrir pourquoi il doit payer ce prix une fois la prestation effectuée :

Ainsi dans cette fable, un vieil homme est appelé dans une usine dans laquelle plusieurs experts essaient de réparer sans succès la machine principale. Ils décident d’appeler un vieux réparateur qui en fait le tour, frappe à quelques endroits, sort un marteau de sa boîte à outils et donne un coup sec à un endroit précis, réparant ainsi la machine. Il envoie ensuite une facture de CHF 5’000.-. Le comptable demande une facture détaillée. La réponse du vieil homme :

  • Le coup de marteau = CHF 2.-
  • Savoir à quel endroit frapper = CHF 4’998.-

Tout est dit ici : alors que le prix au taux horaire convient parfaitement à une activité fortement concurrentielle pour laquelle il est important de pouvoir comparer, le prix forfaitisé, lui, est davantage adapté à une activité à forte valeur ajoutée où une part du coût de revient dépasse la seule mesure du temps et comprend également le savoir-faire d’exception et l’excellence – pour ne pas dire le talent – du prestataire sachant qu’il dispose d’une telle maîtrise qu’il peut se permettre de ne pas réduire sa prestation à un coût horaire.

 

Les entreprises qui pratiquent le forfait s’engagent sur du lourd…. Car si elles se trompent dans leur calcul, elles perdront le client pour toujours, alors que si le client pense en avoir eu pour son argent, elles le garderont à jamais. Un manque de souplesse qui peut en valoir la chandelle.

Choisir le forfait, c’est à la fois mettre le client au centre avec une obligation de résultat et mettre en avant l’expertise et la confiance que le prestataire a dans ses compétences. Les prestataires qui facturent au forfait assument ainsi une part de risque plus importante, tout au bénéfice du client.

Partager

Antoine Lorotte

Ingénieur en microtechnique de l’EPFL, Antoine Lorotte est le directeur et cofondateur de l’entreprise FiveCo. Créé en 2002, ce bureau d’ingénieurs en innovation technologique s’est spécialisé dans l’électronique, la mécanique et la programmation embarquée. Avec une réelle culture industrielle, FiveCo gère des projets de l’idée jusqu'à la mise en production.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *