Quel luxe pour le monde d’après ?

Dans la dernière étude Deloitte sur l’Industrie horlogère, on apprend que la durabilité est devenue une valeur essentielle, que les montres de seconde main sont tendances, que le « tout digital » n’a pas réussi à s’imposer, que l’achat en boutique a toujours le vent en poupe… des tendances qui s’imposent dans un monde incertain confronté à la pandémie qui continue de faire rage.

Dans ces conditions difficiles, imaginer à quoi ressemblera l’industrie du luxe demain devient une gageure. Que désireront les consommateurs ? Que proposeront les acteurs du luxe ? Voici deux questions auxquelles il nous faut répondre pour tenter d’imaginer le luxe du monde d’après Covid.

 

La durabilité : une belle opportunité pour l’univers du luxe ?

Une littérature considérable a déjà été produite dans les médias sur les conséquences du Covid et l’avènement d’un nouveau monde. Le plus souvent la réflexion qui se dégage est que nous ne pourrons plus faire comme avant et qu’il nous faudra changer de mode de consommation, le tout dans une vision qui intègre les problématiques liées au développement durable. Ces nouvelles préoccupations qui se renforcent chaque jour un peu plus chez les consommateurs, auront forcément un impact sur l’industrie du luxe.

L’étude Deloitte sur l’horlogerie que nous citions en introduction nous donne le ‘’la’’ : « Plus de 50 % des consommateurs sondés tiennent compte du facteur durabilité́ lorsquils achètent une montre. L’évolution des exigences des consommateurs, le désir de l’entreprise elle-même de sinscrire dans la durabilité et les médias sont autant de moteurs pour une plus grande transparence. ». La longévité, soeur de la durabilité, ayant toujours été une valeur essentielle du luxe, le fameux slogan « Jamais vous ne posséderez complètement une Patek Philippe. Vous en serez juste le gardien pour les générations futures. » n’a jamais été aussi tendance.

Si les consommateurs se reportent sur des valeurs telles que la proximité, l’artisanat et l’authenticité, avec le besoin de transparence pour connaitre l’origine du produit qu’ils achètent, alors on peut dire qu’en théorie l’industrie du luxe tend à cocher toutes ces cases.

Une autre intuition qui nous dit que le monde de l’après Covid n’a rien de contraire avec l’univers du luxe, c’est le besoin qu’auront les gens de rêver à nouveau…. Car bridés dans leurs pulsions d’achat par une longue période de consommation limitée aux produits de première nécessité, on peut sans trop de conjecture, imaginer qu’ils vont avoir un besoin soudain de « shopping thérapie », une fois que des temps meilleurs seront revenus et la possibilité de se promener de nouveaux le long des grandes avenues.

Tous ces éléments mis bout à bout nous laissent donc à penser que le monde de demain s’ouvre à l’industrie du luxe… encore faut-il qu’elle se lève tôt, comme dirait l’autre, et puisse suffisamment innover pour se renouveler (voir à ce sujet notre petit manifeste pour sortir l’horlogerie de la crise).

 

Deux acteurs complémentaires au coeur d’une même industrie

Si les dernières années ont vu la démocratisation du luxe se développer fortement, c’est essentiellement grâce à l’émergence des trois géants que sont LVMH, Kering et Richemont. Aussi, au regard des éléments évoqués, la question se pose de la capacité de ces groupes à continuer d’incarner les aspirations des consommateurs.

Sont-ils aptes à répondre aux attentes du marché et créer le luxe de demain ? S’il ne fait aucun doute qu’ils sont taillés pour résister, il est moins certains qu’ils disposent des qualités qui leur permettent d’innover : la lourdeur administrative, la pression des actionnaires qui exigent un retour sur investissement, le respect de l’étiquette de la marque… Ces facteurs d’inertie impliquent une absence de prise de risque et ne sont pas propices à la liberté nécessaire au souffle créateur.

A contrario, on sait que les petites structures, elles, disposent des qualités favorables à l’innovation. D’ailleurs c’est peut-être même leur raison d’être : elles sont condamnées à innover sous peine de disparaitre. De fait, elles sont obligées de lancer des projets « out of the box » et même, pour aller plus loin, la prise de risque est leur raison d’être. Et dans ce nouveau monde en quête d’authenticité, de durabilité et de proximité, ce sont des valeurs qu’elles sont mieux à même d’incarner, ne serait-ce parce qu’elles sont des entreprises à taille humaine…

Cette complémentarité est vitale. Alors que les seconds peuvent amener la matière première de l’innovation, les premiers ont les moyens et les structures pour lancer les projets.

Après tout, il n’y a ici rien de bien nouveau… Dans les temps plus anciens l’artisanat d’art gravitait dans les cours en quête de mécènes ; aujourd’hui, artisans gainiers, doreurs, peintres, ébénistes, etc., tous ces acteurs sans qui le luxe n’existerait pas, se regroupent autour de projets les plus fous que seuls des groupes aux moyens illimités auront la possibilité de lancer sur orbite.

 

Retour aux valeurs sures de l’innovation

Si tout semble indiquer que le luxe de demain va chercher à réincarner des valeurs du passé, il ne faudrait pas confondre cette tendance avec celle de la mode du Vintage. Non, le luxe ne s’en sortira pas en remettant au goût du jour les formes du passée. S’il veut exister demain, il lui faut vraiment innover en créant des formes inédites et jamais vues.

Dans cet exercice subtil, on peut donc tout à fait imaginer que ce seront les petits entrepreneurs qui auront la faculté d’innover pendant que les grands groupes, eux, pourront lancer les tendances.

Un exemple qui illustre ce point est celui de l’entreprise slovaque Rimac. A la fin des années 2000, Mate Rimac, un croate a converti sa vieille BMW série 3 en véhicule électrique. Son prototype conçu dans son garage a attiré l’attention des constructeurs auto au point de compter désormais Porsche au sein de son capital. Rimac est aujoud’hui considéré comme le constructeur de véhicules électriques le plus performantes du moment (1’914 ch / 1.85s de 0 à 100km/h). Un modèle de réussite dans lequel un individu seul démontre qu’il est capable de créer à partir de zéro un objet phénoménal pour susciter l’attention des géants de l’industrie auto, qui n’auraient probablement pu mener à bien un tel projet.

Plus proche de notre problématique, le projet Around Five, que nous avons lancé, envisage de remettre au goût du jour un objet historique : l’horloge de bureau. Seule une petite structure peut avoir l’audace d’incarner dans des formes totalement futuristes et inédites ce concept d’une autre époque. Un grand groupe n’aurait pas pu prendre une telle liberté. Par contre, seul ce dernier aura le pouvoir de lancer la mode, et la force de frappe nécessaire pour remettre au goût du jour cette tendance.

Ces deux exemples illustrent que l’innovation se nourrit de valeurs essentielles telles que la liberté, l’audace, l’authenticité… bref toutes ces valeurs garantes de la créativité. Mais pour que celles-ci touchent à l’universalité, il leur faut de puissants alliés.

 

S’il veut exister dans le monde d’après, le luxe devra forcément emprunter cette piste… Sinon on peut douter qu’il soit encore capable de faire rêver les jeunes générations.

 

 

Partager

Antoine Lorotte

Ingénieur en microtechnique de l’EPFL, Antoine Lorotte est le directeur et cofondateur de l’entreprise FiveCo. Créé en 2002, ce bureau d’ingénieurs en innovation technologique s’est spécialisé dans l’électronique, la mécanique et la programmation embarquée. Avec une réelle culture industrielle, FiveCo gère des projets de l’idée jusqu'à la mise en production.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *