Les PME sont-elles devenues esclaves de leurs contrats ?

Alors que nous n’y prenons garde, notre monde se laisse envahir par les contrats. Un peu à la manière des mauvaises herbes, ils poussent dans tous les coins. Certains sont tellement envahissants que parfois, la seule manière de s’en défaire consiste à aller jusqu’à la rupture. On a tous eu un jour l’expérience, à titre personnel, de devoir lire un contrat interminable et illisible et de pester contre « ces satanées notes de bas de page ». Cette situation a même parfois un petit côté absurde. Un YouTuber a lancé un défi de lire les “terms and conditions” du Kindle d’Amazon soit plus de 73 198 mots sur plus de 190 pages. Comme le rapporte le site Hitek, « il lui a fallu 8 heures et 59 minutes pour lire le contrat de bout en bout ! » Cette manie de tout contractualiser qui s’accompagne souvent d’une « paperasserie galopante » touche aujourd’hui le monde de l’entreprise de plein fouet et a quelque chose de particulièrement néfaste pour les relations professionnelles et voici pourquoi.

 

Inégalité des entreprises devant le « contrat » 

C’est un grand classique hollywoodien qu’illustrent très bien des films cultes tels que L’Affaire Pélican ou encore La Firme. De grandes délégations de cabinets d’avocats mandatés pour défendre les grandes entreprises dans les affaires où elles se trouvent mêlées. Parfois, la taille est disproportionnée entre le plaignant qui se retrouve seul et le défendant qui déploie une cohorte de juristes. Cette configuration du pot de terre contre le pot de fer, est hélas de moins en moins caricaturale. Reconnaissons-le, les PME ne sont pas équipées pour faire face à ces armadas, qui consacrent leur temps à réécrire des contrats. En face, la petite entreprise qui n’a pas les moyens se retrouve dans des situations compliquées car elle n’est pas en mesure de gérer les couches de complexités qu’on veut lui imposer. Bien évidemment, cela peut avoir un coût pour elle. Car si elle veut être à la hauteur, elle doit à son tour employer des hommes de l’art, dont les talents excèdent parfois la rentabilité des dossiers concernés. On se retrouve donc avec une situation de deux poids/deux mesures qui génère une parfaite inégalité – non pas devant la loi – mais devant le contrat. Cette situation est de plus en plus prégnante entre les donneurs d’ordre – grands industriels – et leurs sous-traitants ; aussi reconnaissons-le, cela a pour conséquence de nuire fortement à la qualité de la relation client et au développement des affaires.

 

Accroissement permanent du risque contractuel

La complexification évoquée ci-dessous, en plus de générer une inégalité, peut être source d’un véritable danger. En effet, imaginons une entreprise qui ne dispose pas d’un service juridique en interne et a signé un contrat avec un partenaire industriel qui – lui étant équipé – propose des modifications et mises à jour régulières des accords. Ces dernières allant vers toujours plus de complexifications finissent par créer de plus en plus d’incertitudes. Car même si l’objectif de l’accord est bien de tout baliser, l’épaisseur et la technicité du texte auront pour conséquence de rendre de plus en plus absconse la collaboration. En résultera un manque de transparence total qui mettra l’un des deux partenaires en danger. Si comme le dit l’adage, « nul n’est censé ignorer la loi », encore faut-il que le texte signé par les deux parties soit clair pour chacune afin de s’assurer qu’aucun piège n’a été tendu et que tous les aspects peuvent être maîtrisés de part et d’autre. Or de manière involontaire et sans le savoir, faute d’incompréhension, une situation de prise en défaut par rapport au contrat peut vite arriver. Dans ce cas, il est fort probable que le contrat soit cassé, ce qui sera forcément dommageable. D’autant plus que cela peut avoir des répercussions sur la réputation du partenaire concerné… On peut même imaginer le pire. Certaines sociétés ne s’en remettront jamais. Preuve s’il en est que le contrat ne résout pas tout.

 

Moins de textes contresignés, plus de « paroles données »

S’il est une tradition qui est chère dans un pays comme le nôtre, c’est l’éthique de la parole donnée. Avec l’inflation contractuelle galopante qui nous touche à notre tour, on se prend à regretter cette époque vertueuse et on souhaite que la folie contractuelle fasse une pause pour revenir à l’essentiel. Un contrat sain devrait tenir sur une seule page et être lisible par tous. Il comprendrait des éléments indispensables : le délivrable, les règles de confidentialité, la gestion de la propriété intellectuelle et les modalités de facturation. Ce genre d’écrit complèterait le code des obligations et permettrait de donner encore davantage de crédits à la relation de confiance en générant une situation gagnant-gagnant. En tout état de cause, il nous semble essentiel que le texte soit lisible des décideurs sans la présence de leurs avocats. La collaboration s’en trouvera forcément renforcée. Un point de vue qu’approuverait sans aucun doute l’auteur de L’Esprit des lois pour lequel « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. » (Montesquieu)

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Antoine Lorotte

Ingénieur en microtechnique de l’EPFL, Antoine Lorotte est le directeur et cofondateur de l’entreprise FiveCo. Créé en 2002, ce bureau d’ingénieurs en innovation technologique s’est spécialisé dans l’électronique, la mécanique et la programmation embarquée. Avec une réelle culture industrielle, FiveCo gère des projets de l’idée jusqu'à la mise en production.

Une réponse à “Les PME sont-elles devenues esclaves de leurs contrats ?

  1. Que voici une plume bien déliée et habilement maniée. L’histoire de David contre Goliath résonne dans nombre d’autres domaines économiques que celui des contrats, comme les brevets par exemple. Amusons-nous à penser que ce que nous avons créé dans les domaines financiers avec les produits dérivés ou des assurances avec la réassurance trouvera peut-être un jour son chemin dans les contrats, avec des contrats régissant des contrats. J’ai connu et je connais toujours des accords se concluant par une bonne poignée de main, les deux dans les yeux, et ce n’est que pur bonheur, mais malheureusement je ne peux que valider le contenu de ton article Antoine. Au-delà d’un objectif de protection contre des risques qui n’arriveront jamais, il s’agit d’un pur business comme un autre, alimenté par ceux qui en tirent des revenus.

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