Entrepreneurs : prenez tout votre temps

Un cliché montre l’entrepreneur en homme pressé. Et si, au contraire, c’était un porteur de valeurs qui s’épanouissent sur la durée ?

 

La lenteur comme facteur de réussite ?

Selon une étude de Swiss Start Up Radar, 300 entreprises voient le jour en Suisse chaque année et fait constaté : « Les start-up suisses créent moins d’emplois durant leurs dix premières années d’existence que leurs homologues d’Europe occidentale. En moyenne, une jeune pousse compte 16 employés au bout de dix ans. Et c’est seulement à partir de la deuxième décennie que les évènements s’accélèrent. Elles se développent alors deux fois plus vite qu’au cours des dix premières années. » Une lenteur qui s’expliquerait par le fait qu’elles « développent des produits complexes ou opèrent sur des marchés où le cycle de vie des produits est long. » Fait à souligner : elles se transforment quasiment toutes en PME. Le temps de maturation, on le voit, semble être une condition du succès de ces entreprises : une raison suffisante pour que les entrepreneurs prêtent davantage d’attention au temps.

 

Pas qu’une histoire d’argent

Les entreprises de service qui facturent des heures, les investisseurs qui se rémunèrent sur leurs placements, ou les industriels qui essayent de battre des records de productivités, tous nous ramènent spontanément à l’association classique « le temps c’est de l’argent ». Mais on aurait tort de réduire la valeur ajoutée du temps au cœur de l’entreprise à cette seule dimension numéraire. D’autant plus que le « temps d’un entrepreneur » dépasse tous les montants qu’on peut imaginer. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Bill Gates dans le reportage qui lui est consacré sur Netflix, si le bien le plus précieux pour lui est le temps, c’est, nous dit-il « parce que c’est le seul qu’il ne peut pas s’acheter. » Une question se pose alors : le « toujours plus vite » est-il forcément synonyme de réussite entrepreneuriale ?

 

L’illusion de l’instantané

Dans la société digitale, le « temps court » des algorithmes impose de plus en plus sa tyrannie : on exige son repas chaud livré à domicile en moins de vingt minutes, on télécharge toute l’information et la culture depuis son fauteuil sans se déplacer, on transfère des montants astronomiques à l’autre bout du monde en un seul clic… Le consommateur est un homme pressé qui presse l’entrepreneur. Mais on aurait tort d’associer cette exigence d’« instantanéité » qui est au cœur de notre société contemporaine avec une preuve de succès de nos entreprises. D’ailleurs l’entrepreneur prospère ne doit pas rester dans l’opérationnel. Il doit prendre le temps de réfléchir aux développements stratégiques de son entreprise. C’est en s’offrant ce luxe qu’il peut apporter les éléments nécessaires à la maturation de son entreprise. Car c’est là le cœur du sujet : la durée plutôt que l’instant.

 

Devenir la plus vieille entreprise du monde

 1 300 ans, c’est l’âge d’Hoshi Ryokan. Considérée comme la plus veille entreprise du monde, cette auberge qui a vu le jour en 717 est aujourd’hui un hôtel de luxe situé au Japon. En tout, plus de 46 générations de la même famille se sont succédées à la tête de l’établissement. En Suisse Romande la société Jacquet S.A. fêtera prochainement son 350e anniversaire. On est admiratif devant ces « héros de l’entrepreneuriat » qui ont su braver les aléas historiques et dont le business model a su s’adapter à toutes les évolutions du marché. D’autant plus lorsqu’on sait le temps considérable qu’il faut pour créer des valeurs d’entreprise et qu’’un seul moment d’inattention suffit pour tout détruire. Ces exemples incarnent une force et un volontarisme qui inspirent un profond respect.

 

Chaque nouvelle entreprise qui se créé ne devrait-elle pas avoir pour objectif de durer le plus longtemps possible en investissant dès le début sur le long terme avec un message intemporel que l’on pourra transmettre aux générations qui suivent ? Ce truisme est une valeur à insuffler dans l’esprit des jeunes entrepreneurs à une époque où il est commun que certains créent leurs « start-up innovante » avec pour seul objectif de la revendre le plus rapidement possible et d’empocher une plus-value. Du coup, la démarche de l’entrepreneuriat patrimonial n’en n’a que plus de valeur. Et tout s’ensuit, car on accordera plus facilement sa confiance à un entrepreneur qui veut durer, qu’à celui qui veut faire un coup.

 

On découvre alors d’un seul coup d’œil toutes les vertus du temps : cet allié de poids en termes de communication qui donne aux entreprises leur légitimité et leur crédibilité. Le Club des Hénokiens qui réunit les plus vieilles entreprises du monde défend ces valeurs : travail de qualité, croissance avec sagesse, culture d’entreprise patiemment construite… Une vérité éternelle se fait jour : l’entrepreneur qui prend son temps aura toujours raison face aux aléas du temps.

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Antoine Lorotte

Ingénieur en microtechnique de l’EPFL, Antoine Lorotte est le directeur et cofondateur de l’entreprise FiveCo. Créé en 2002, ce bureau d’ingénieurs en innovation technologique s’est spécialisé dans l’électronique, la mécanique et la programmation embarquée. Avec une réelle culture industrielle, FiveCo gère des projets de l’idée jusqu'à la mise en production.

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